Graine de championne
EAN13
9782013216555
ISBN
978-2-01-321655-5
Éditeur
Le Livre de poche jeunesse
Date de publication
Collection
Livre de Poche Jeunesse (658)
Dimensions
17 x 11 x 1,3 cm
Poids
160 g
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Indisponible

Autre version disponible

couverture

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Illustration de couverture : Daphné Collignon

© Hachette Livre, 1989, 2002.

ISBN : 978-2-01-323497-9

Loi nº 49-956 du 16 juillet 1949
sur les publications destinées à la jeunesse

Pour Françoise.

1

Je ne sais pas comment c'est pour vous les rentrées, mais pour moi c'est terrible. J'ai mon estomac qui se tortille dans tous les sens et les jambes en coton.

En plus, ce matin-là, j'entrais en sixième et c'était encore pire.

J'avais tellement peur de ne pas me réveiller que je m'étais levée depuis des heures. J'avais mis mes habits tout neufs qui sentaient encore le magasin, j'avais vérifié quinze fois le contenu de mon sac et fait au moins cinquante fois le tour de ma chambre dans l'obscurité, avec mon vieux lapin bleu dans les bras.

À six heures et demie, j'ai aperçu Papa qui partait pour son travail dans sa vieille 2 CV. En passant par la grille du jardin, il a levé les yeux vers la fenêtre de ma chambre, mais je me suis cachée pour qu'il ne me voie pas. Il se serait inquiété.

Depuis, je regardais danser le Mickey sur le cadran du réveil. Sept heures moins deux. J'ai entendu les pas de Maman dans l'escalier. Ils se rapprochaient, se sont arrêtés sur le palier devant ma chambre.

J'ai ouvert la porte en grand pour lui faire la surprise.

« B'jour, Maman ! Je suis prête ! »

Ma mère m'a regardée en souriant. Elle m'a embrassée. Tiens, ce matin, elle a mis le parfum que je préfère : un mélange de citronnelle et de cannelle. Elle m'a passé une main sur la joue.

« Parce que tu crois qu'on s'habille avant de se débarbouiller ? C'est nouveau, ça !

— Mais... Je me suis déjà lavée hier ! Si, c'est vrai ! »

Elle a secoué la tête et pincé les lèvres. Pourtant sa voix est restée douce.

« On ne proteste pas ! Allez, file dans la salle de bains, la Puce ! Je descends préparer ton déjeuner. »

Cette manie qu'ont les parents de vous donner des surnoms ridicules. Mon lapinot... ma toutounette... poupougne ! Moi, c'est la Puce ou Pucette, ça dépend. Aucun rapport avec mon vrai prénom, Lucille. C'est parce que je suis petite qu'on m'appelle comme ça. Très petite pour mon âge. La preuve ? À table, quand je suis assise, mes pieds touchent à peine le sol. Mais je m'en fiche. Un jour, je serai grande comme Maman et alors là, le premier qui me dit « Ma Puce », ça risque de chauffer pour ses oreilles.

Je me suis enfermée dans la salle de bains et j'ai laissé couler l'eau dans la baignoire. T.G.V., ce matin. Toilette à Grande Vitesse. Je me suis tamponné les joues avec mes doigts humides, j'ai refait mes couettes et terminé pour aujourd'hui.

Voilà, j'étais prête pour l'épreuve du petit déjeuner.

Dans la cuisine, Carole, la mère de Lucille, examina le visage de sa fille, l'air satisfait.

« Ah, tu es quand même mieux comme ça ! »

Elle lui avait préparé un grand bol de chocolat fumant et des tartines à la confiture de myrtilles.

D'habitude, Lucille en avalait trois ou quatre facilement mais ce matin, rien que de les voir, elle en avait mal au cœur. Du menton, elle montra la table à sa mère.

« J'ai pas très faim, tu sais... J'ai mon ventre qui fait des drôles de bruits, écoute ! »

Carole tendit l'oreille et haussa les sourcils.

« Je n'entends rien ! De toute façon, il faut que tu manges si tu veux que ça passe. Tu dois être un peu anxieuse à cause de la rentrée mais ce n'est rien, tu sais. Tu vas avoir de nouveaux professeurs, de nouvelles copines... Tout va très bien se passer, tu verras... Allez, mange au moins une tartine pendant que je me prépare... »

Lucille regarda Carole droit dans les yeux. Fixement. Sans ciller. Un regard étonnant chez une fillette de onze ans.

« Pour quoi faire ? Tu as trouvé du travail ?

— Non. Je t'accompagne au collège, tout simplement ! »

« Ah ça non ! pensa Lucille. C'est en sixième que j'entre, pas à la maternelle ! »

Elle imaginait déjà la scène à la porte du collège : Carole en larmes qui secoue son mouchoir en lui criant : « À ce soir, la Puce ! » et les enfants de la classe qui rigolent et reprennent en chœur : « À ce soir, la Puce ! »... La honte.

Carole a bien vu dans ses yeux qu'elle n'était pas d'accord.

Elle connaissait sa fille par cœur, et ce regard-là était clair comme de l'eau de roche.

Lucille avala sa salive.

« Non. Je veux y aller toute seule. Tu m'avais juré ! »

Carole lui sourit. Elle n'avait pas l'intention de contrarier sa fille un matin aussi important que celui-là.

« Tu as raison, Lucille... C'est ta rentrée, pas la mienne. Tu me raconteras tout ce soir. »

Puis elle lui a ouvert ses bras et Lucille s'est laissé câliner comme un gros bébé jusqu'à ce que Marc entre en bâillant dans la cuisine.

Marc, c'est mon frère. Il a presque quinze ans, des cheveux et des yeux noirs comme moi, et des pyjamas trop courts. Il m'a fait un clin d'œil en s'asseyant :

« Alors, p'tite sœur ! C'est le grand jour ? »

Et il s'est mis à dévorer les tartines que Maman m'avait préparées. Marc, en plus d'être mon frère, c'est mon copain !

Nina m'attendait au coin de l'avenue de la Liberté, près du petit square avec une statue et un banc. C'est là que nos chemins se croisaient chaque fois qu'on avait envie de se voir.

Avec Nina, on était dans la même classe depuis le CP, ça crée des liens. Je n'espérais qu'une chose, c'est qu'on soit encore ensemble cette année.

Je me suis dressée sur la pointe des pieds pour lui faire la bise. Elle n'avait pas l'air très en forme non plus. En retirant la mèche de cheveux blonds qui lui cachait les yeux, elle m'a demandé :

« On y va ?

— Bien obligées. Faudrait pas qu'on arrive en retard le premier jour. On se ferait remarquer et il paraît que cette année ils ont décidé d'être hyper-sévères et qu'ils ont remis les heures de colle. C'est mon frère qui me l'a dit ! »

Nina a levé les yeux au ciel.

« Il paraît aussi qu'il y a un nouveau directeur et que les profs, ils sont vaches... Y'en a même qui fichent des claques et qui tirent les cheveux ! Je te raconte même pas ! »

On aurait pu continuer des heures avec nos « il paraît ». On a préféré arrêter.

En marchant vite, on en avait pour un bon quart d'heure. On n'avait pas très envie de parler, alors on n'a rien dit. De temps à autre, on se regardait. On essayait de sourire mais ça venait pas. Ou très peu.

Le collège est au milieu de la Z.U.P.

À un moment, on est passées devant notre école de l'année dernière et Nina a dit : « On aurait dû redoubler notre CM2 ! Comme ça, au moins, on serait tranquilles. »

On s'est retrouvées devant la grille du collège. On était au moins deux cents, rien que des sixièmes. Ça gesticulait dans tous les coins, ça piaillait, ça chahutait. Il y en avait même qui pleurnichaient dans les bras de leurs parents.

Nina et moi, on n'était pas très fières non plus, seulement on ne le faisait pas voir.

Tout à coup, un violent coup de sirène a retenti et les portes se sont ouvertes. Plus question de reculer.

J'ai attrapé la main de Nina et je l'ai serrée très fort dans la mienne.

« On se quitte pas, hein, Nina ?

— S'ils nous mettent pas ensemble, je te jure, Lucille, je pique ma crise ! »

Main dans la main, on a suivi le flot des élèves.

Au centre de la cour, il y avait un bonhomme avec une tête qui ne savait pas sourire. Assis à une table, il portait un costume gris et il tenait une sorte de grand entonnoir en plastique. Bizarre... Devant lui était posé un gros paquet de feuilles.

« C'est qui ? j'ai demandé à Nina.

— Je crois que c'est le principal. Le dirlo, si tu préfères... Il a pas l'air commode. Regarde derrière, là-bas, sous le préau ! »

J'ai regardé et j'ai vu toute une rangée de grandes personnes, surtout des femmes, bien alignées les unes à côté des autres.

Chacune tenait un petit écriteau où il était inscrit 6e A, 6e B... Comme ça jusqu'à la lettre G.

« C'est nos profs ? m'a demandé Nina.

— Ben... En tout cas, c'est pas des comiques... »

Tout à coup le vent s'est levé et le paquet de feuilles posé sur la table du principal s'est envolé. Il y en avait partout dans la cour. Tout le monde s'est mis à rigoler et c'est alors que j'ai compris à quoi servait l'entonnoir.

Une voix énorme, monstrueuse, une voix d'ogre en colère, est sortie de l'entonnoir du prin...
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